L’église Mart Schmouni d’Ankawa

L’église Mart Schmouni d’Ankawa se situe à 36°14’5.86″N 43°59’17.50″E et 409 mètres d’altitude.

Elle accueillit entre 2014 et 2016 des milliers de personnes déplacées de la plaine de Ninive.

À l’origine, le site dédié à Mart Schmouni n’était semble-t-il qu’un petit sanctuaire de terre où se trouvait une grande pierre protégée par un petit oratoire de terre. Les fidèles y venaient en pèlerinage.

En 1981 (ou 1985), l’oratoire a semble-t-il été détruit et remplacé par un nouveau sanctuaire. C’est au cours de cette décennie qu’a été édifiée l’église de style babylonien que l’on peut apercevoir de nos jours.

En 2014, une nouvelle église Mart Schmouni a été construite à côté de l’ancienne pour des milliers d’exilés chrétiens syriaques-catholiques venus de la plaine de Ninive.

Localisation

Autrefois situé à l’extérieur du village d’Ankawa[1], le sanctuaire de Mart Schmouni est progressivement devenu un grand domaine religieux implanté aujourd’hui au cœur même de la cité, à 36°14’5.86″N 43°59’17.50″E et 409 mètres d’altitude.

Localité à part entière Ankawa fait également partie du vaste ensemble urbain d’Erbil[2], capitale de la région autonome du Kurdistan d’Irak, forte de plus d’un million et demi d’habitants, à 30 km à l’est du Grand Zab, un affluent du Tigre, 80 km à l’est de Mossoul et 25 km au sud de la bordure méridionale de la montagne kurde.

[1] Le toponyme Ankawa est en usage aujourd’hui. Dans Assyrie Chrétienne, vol.I, Jean-Maurice Fiey rapporte que la cité a autrefois porté le nom de « ‘Amk Ābād au temps des Persans. D’où la version ‘Amkāwa (attestée au XIVe s.), quelquefois abrégée en ‘Amko (déjà au Xe s.). Ce n’est que plus tard qu’apparaît la déformation ‘Ankāwa (XVIIIe s.), puis le moderne ‘Aïnkāwa..». Dans le toponyme Amkabad, le suffixe abad d’origine perse signifie « la résidence de… »

[2] Erbil ou Arbil

Erbil et Ankawa en surbrillance
Août 2017 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA

Fragments d’histoire chrétienne

Erbil, identifiée à l’antique Arbeles assyrienne, est relativement proche du lieu de supposé de la plaine de Gaugamèles où se déroula la célèbre bataille que remporta le macédonien Alexandre le Grand sur le perse Darius III en 331 avant J.C. Ancienne capitale du royaume assyrien d’Adiabène, balloté entre les empires parthe, romain et arménien, la région est connue pour avoir été au Ier siècle un des foyers juifs de Mésopotamie que les premiers Chrétiens ont sans doute cherché à convertir. « Les milieux touchés par l’évangélisation ne sont pas connus, mais il est raisonnable de penser que les premiers convertis appartiennent à la population juive alors très importante dans toute la Mésopotamie, et même au delà du Tigre, depuis la déportation de Babylone, sous Nabuchodonosor. Il est probable que les premiers efforts de conversion aient porté sur cette communauté, comme cela s’était déjà produit dans toutes les villes de l’Empire romain[1]. » Là encore les premières étapes de cette évangélisation sont réputées être liées aux missions des apôtres Thaddée, Barthélémy et surtout Thomas et de leurs disciples. La tradition rapporte que Thomas « se serait arrêté à Séleucie-Ctésiphon au cours de son voyage vers l’Inde[2]».

Au tout début du IVe siècle, l’Adiabène qui était alors la « marche » la plus méridionale du royaume d’Arménie connut une nouvelle vague d’évangélisation, après que l’Arménie devint le tout premier « état » chrétien de l’histoire, vers 301. « Probablement aussi, il y eut vers 328-329 une entrevue entre les deux seuls souverains chrétiens de l’époque : l’empereur romain Constantin Ier  et l’Arménien Tiridate III. Constantin Ier confirma le rôle de Tiridate III pour l’évangélisation de l’Orient. C’est ainsi que des missionnaires arméniens participèrent à l’évangélisation de la Mésopotamie et du royaume sassanide, comme le  relate l’historien grec Sozomène, vers 402 : « Ensuite, parmi les peuples voisins, la croyance progressa et s’accrut d’un grand nombre et je pense que les Perses se christianisèrent grâce aux importantes relations qu’ils entretenaient avec les Osroéniens et les Arméniens (…)«  [3] ». Devenu siège épiscopal, Erbil la chrétienne connut l’islam avec la conquête musulmane et le califat abbasside dès la fin du VIIe  siècle, ouvrant ainsi la voie à l’islamisation de toute la région, sans interruption jusqu’à nos jours, quels que furent les conquérants seldjoukides, mongols, perses, atabegs, ottomans et kurdes.

Originellement membres de l’Église apostolique assyrienne de l’Orient, les Chrétiens d’Erbil et Ankawa passèrent progressivement à l’Église chaldéenne (catholique). Ce mouvement se déroula essentiellement  au XVIIIe siècle. Le patrimoine fut transféré de la même manière d’une Église à l’autre.

Dans le dernier quart du XIXe siècle, le missionnaire dominicain français Jacques Rhétoré de passage à Erbil écrivit qu’« à part quelques familles juives, la population est toute musulmane et peut s’élever de douze à quinze mille âmes. (…) Pas un chrétien n’habite Ervil, cependant cette ville en était peuplée dans les temps anciens et c’était la résidence d’un évêque catholique. La population chrétienne, persécutée et en butte à de continuelles vexations dans cette localité, l’a abandonnée depuis longtemps pour se concentrer non loin de là, dans le lieu où se trouve aujourd’hui le village chaldéen d’Aïncawa (…) Six prêtres dirigent cette chrétienté qui se compose d’environ deux cent cinquante familles.[4] »

[1] In Histoire de l’Église de l’Orient, Raymond le Coz, Éditions du Cerf, 1995, p.22

[2] Id. p.21

[3] In « Arménie, un atlas historique », p.22 et carte p.23. Édition Sources d’Arménie, 2017.

[4] In « Voyage d’un missionnaire dans les provinces de Kerkouk et de Solimanié de l’empire turc », Année dominicaine, 1879. P ;492-493.

Chrétiens déplacés sur le pavis de l'église Mart Schmouni
Juillet 2017 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA

Fragments d’une hagiographie

L’hagiographie de Mart Schmouni et de ses sept Saints-Enfants est bien connue dans tout l’Orient chrétien mésopotamien. Le récit du martyre de cette famille juive, les Maccabées, figure au chapitre 7 du deuxième livre des Maccabées. Ce récit révèle les persécutions dont furent victimes les Juifs sous le règne du roi séleucide Antiochus IV Épiphane, parce qu’ils respectaient les Lois de Dieu et croyaient déjà en la résurrection et la vie éternelle…deux siècles avant l’avènement du christianisme.

Les sept frères Maccabées furent ainsi « arrêtés avec leur mère et contraints à manger du porc »[1] afin d’apostasier. Tous refusèrent et périrent martyrs les uns après les autres sous les yeux de leur mère. Le premier fut ainsi « horriblement torturé, puis placé sur un gril (…) »[2]. Malgré sa détresse, leur mère, Mart Schmouni, les encouragea  un à un à  rester fidèles à la Loi de Dieu, jusqu’au cadet qu’elle supplia de ne pas craindre le bourreau « mais, te montrant digne de tes frères, accepte la mort, afin que je te retrouve avec eux dans la miséricorde. »[3]

[1] In La Bible rendue à l’histoire, Jean Potin, éditions Le Club, Juin 2000, p.616

[2] Id. p.616

[3] Id. p.617, Extrait : 2 Maccabées, 7, 29

Tableau de l'artiste Ibrahim Lallo représentant Mart Schmouni et ses sept enfants martyrs., dans la nouvelle église Mart Schmouni (et Sainte Anne) d'Ankawa
Décembre 2017 © Pauline Bouchayer

Un sanctuaire avant l’église

À l’origine, le site dédié à Mart Schmouni n’était semble-t-il qu’un petit sanctuaire de terre où se trouvait une grande pierre protégée par un petit oratoire de terre. Les fidèles y venaient en pèlerinage, allumaient des bougies et effectuaient leurs dévotions. Jean-Maurice Fiey mentionne néanmoins « que les vestiges de deux églises dites de Mart Šmūni et de Mart Mariam se voient encore dans les alentours de Aïnkāwa[1] ». En 1981 (ou 1985), l’oratoire existant a semble-t-il été détruit et « remplacé » par un nouveau «sanctuaire » en briques. C’est au cours de cette décennie qu’a été édifiée l’église de style babylonien que l’on peut apercevoir de nos jours.

Vue de l’extérieur la structure de l’église Mart Schmouni d’Ankawa ressemble à une pyramide à degrés. À l’intérieur, l’architecture ne révèle rien de particulièrement remarquable. La partie la plus significative réside en son chevet. Derrière le maître-autel, le mur du fond est en effet orné d’une immense fresque mariale[2].

[1] In Assyrie Chrétienne, vol. I,  Imprimerie catholique Beyrouth, 1965-1968, p.172

[2] Ipod 13/07 17h + 17h04

Sanctuaire Mart Schmouni. Date ?
© Musée du patrimoine et des arts populaires syriaques, Ankawa
Sanctuaire Mart Schmouni. Date ?
© Musée du patrimoine et des arts populaires syriaques, Ankawa

Les temps modernes et la nouvelle Mart Schmouni

À l’aube du XXIe siècle et à rebours de l’histoire, la métropole d’Erbil est redevenue un pôle chrétien de première importance. La cité d’Ankawa, au nord de la métropole, a en effet accueilli des dizaines de milliers de Chrétiens venus de Bagdad, Mossoul, la plaine de Ninive et Bassorah, en raison des persécutions anti-chrétiennes commises par les groupes islamico-mafieux qui ont prospéré depuis l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003. La politique d’accueil en zone kurde des Chrétiens d’Irak mise en œuvre par le président de la région autonome du Kurdistan d’Irak Massoud Barzani, est particulièrement visible à Erbil-Ankawa. Outre les camps de réfugiés chrétiens et yézidis entre 2014 et 2017, on peut citer la construction de plusieurs nouvelles et grandes églises de toutes confessions, dont la nouvelle église Mart Schmouni, l’installation durable de milliers de familles chrétiennes dans la ville, la construction d’écoles et de dispensaires administrés par les églises, la délocalisation du Babel College de Bagdad…Ces initiatives nombreuses et variées renforcent la vitalité chrétienne d’Ankawa. Le jumelage des archidiocèses de Lyon et Mossoul est l’un des exemples les plus féconds de ce renouveau.  Ce jumelage matériel, moral et spirituel, a été annoncé les 28 et 29 Juillet 2014 par le cardinal-archevêque de Lyon, Philippe Barbarin, dans l’église syriaque-catholique al Tahira de Qaraqosh ainsi que dans la cathédrale chaldéenne Saint-Joseph d’Erbil,  en présence de l’archevêque syriaque-catholique de Mossoul Petros Mouché et du patriarche chaldéen Louis-Raphaël Ier Sako,[1]

Au tournant du troisième millénaire, vers 2005 et 2006, l’église chaldéenne Mart Schmouni a été prêtée à la communauté syriaque-catholique pour les besoins spirituels d’un grand nombre de ses fidèles qui avaient été contraints de fuir Bagdad et Mossoul en raison du chaos généré par l’invasion américaine de l’Irak en 2003 et les menaces exercées depuis lors par des gangs islamistes et mafieux de délinquants et de criminels.

En 2014, contraints à l’exode, les Chrétiens de la plaine de Ninive se réfugièrent au Kurdistan d’Irak et notamment à Erbil-Ankawa. Le jardin de Mart Schmouni devint ainsi un vaste campement pour des  milliers de personnes déplacées.

Monseigneur Yohanna Patros Mouché, archevêque syro-catholique de Mossoul-Qaraqosh, a notamment témoigné que « durant presque un mois après notre exode, je fis tout mon possible pour être au côté de mes fidèles. Le matin de bonne heure au camp de Mart Chmouni (sanctuaire religieux), où se trouvaient 650 familles, à savoir plus de 2 000 personnes, qui comptaient parmi elles des familles non chrétiennes : 44 familles kakaïs avec 2 familles shabak (autre minorités irakiennes), je me tenais dans la cour de l’église, assis sur une chaise sous un arbre ou à côté d’un mur pour me protéger du soleil très brûlant, en solidarité avec mes fidèles. (…)[2] ».

En ces temps troublés, les offices liturgiques étaient célébrés dans l’ancienne église Mart Schmouni qui ne pouvait cependant accueillir qu’une centaine de fidèles. Face à une telle exiguïté, l’Œuvre d’Orient proposa de construire une nouvelle église plus grande, à côté de l’ancienne. Le donateur qui en finança la construction demanda qu’elle fût dédicacée à Sainte Anne, en hommage à son épouse. La nouvelle église fût finalement consacrée aux Saintes Anne et Schmouni. Son édification dura 4 mois, mobilisant une abondante main d’œuvre issue des populations déplacées de la plaine de Ninive.

L’édifice fait 30 mètres de long sur 18 de large et 4 de haut et peut accueillir 900 personnes. Les matériaux de construction employés sont innovants. Ce sont littéralement des panneaux sandwich composites en bois et ciment de 16 cm d’épaisseur, faisant 3 mètres de haut sur 1,70 de large, garnis de mousse polyuréthane soufflée, isolants et ignifugés. C’est la première fois qu’une telle technologie fût utilisée en Irak.

On est ici bien loin des édifices en marbre de Mossoul, des bas-reliefs en stuc et de l’ornementation arabo-chaldéenne. D’où cette question : peut-on considérer cet édifice comme relavant du patrimoine religieux ? Si l’on considère le travail de la pierre comme primordial, la nouvelle église Mart Schmouni n’aurait pas à figurer dans une telle notice. Si l’on considère le combat pour la survie d’une communauté persécutée, la nouvelle Mart Schmouni reproduirait avec des moyens modernes la domus ecclésia des origines, une maison de prière du XXIe siècle. En somme un patrimoine certes insolite mais digne d’intérêt.

À l’intérieur, l’édifice se présente comme une grande halle comprenant son mobilier liturgique, mais aussi deux belles icônes. La première est dédiée à Mart Schmouni et ses 7 enfants martyrs. La seconde est dédiée à Sainte Anne, la mère de la Vierge Marie. Ces deux œuvres ont été peintes par Ibrahim Lallo, lui-même déplacé de Bartella avec sa famille et membre de la communauté syriaque-catholique.

Ibrahim Lallo est également le concepteur d’une croix très stylisée que l’on peut voir derrière l’autel. Cette croix est composée des lettres de deux mots croisés, Dieu (Allah) dans le sens de la hauteur, et Amour (mahaba) dans le sens de la largeur. Le mot Dieu se termine par un cœur d’où tombent trois gouttes de sang. En dessous, en arc de cercle, est écrit en syriaque « Dieu est amour ».

[1] Voir le site http://lyonmossoul.fr et le site  http://fondationsaintirenee.org

[2] Vendredi 7 novembre 2014. Dîner de soutien aux chrétiens d’Irak. Nantes.

L'église Mart Schmouni d'Ankawa
Juillet 2017 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA
Église Mart Schmouni d'Ankawa. Partage du pain
Juillet 2017 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA
Église Mart Schmouni d'Ankawa
Décembre 2017 © Pauline Bouchayer
Église Mart Schmouni d'Ankawa. Intérieur
Décembre 2017 © Pauline Bouchayer
Église Mart Schmouni d'Ankawa. Mémorial
Décembre 2017 © Pauline Bouchayer
Église Mart Schmouni d'Ankawa. Dédicace
Décembre 2017 © Pauline Bouchayer
Vue sur les deux églises Mart Schmouni (l'ancienne et la nouvelle)
Décembre 2017 © Pauline Bouchayer
Nouvelle église Mart Schmouni (et Sainte Anne) d'Ankawa. Façade
Décembre 2017 © Pauline Bouchayer
Nouvelle église Mart Schmouni (et Sainte Anne) d'Ankawa. Intérieur
Décembre 2017 © Pauline Bouchayer
Nouvelle église Mart Schmouni (et Sainte Anne) d'Ankawa. Mariage
Décembre 2017 © Pauline Bouchayer
Nouvelle église Mart Schmouni (et Sainte Anne) d'Ankawa. Mariage
Décembre 2017 © Pauline Bouchayer
Nouvelle église Mart Schmouni (et Sainte Anne) d'Ankawa. Tableau de l'artiste Ibrahim Lallo représentant Sainte Anne
Décembre 2017 © Pauline Bouchayer
Nouvelle église Mart Schmouni (et Sainte Anne) d'Ankawa. Croix stylisée arabo-syriaque de l'artiste Ibrahim Lallo signifiant "Dieu est amour"
Décembre 2017 © Pauline Bouchayer
L'artiste Ibrahim Lallo, auteur des œuvres de la nouvelle église Mart Schmouni (et Sainte Anne) d'Ankawa
Décembre 2017 © Pauline Bouchayer
Munther Jabouri, architecte de la nouvelle église Mart Schmouni (et Sainte Anne) d'Ankawa
Décembre 2017 © Pauline Bouchayer

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