L’église Mart Schmouni de Baashiqa

L’église Mart Schmouni de Baashiqa se situe à 36°27’4.08″N 43°20’54.07″E et 343 mètres d’altitude.

L’édification originelle de l’église Mart Schmouni n’est pas connue. Sa reconstruction eut lieu en 1890. Sa structure basilicale à trois nefs est typique de l’architecture religieuse syriaque-orthodoxe. La magnifique porte royale en marbre de l’église Mart Schmouni forme un très grand arc plein cintre percé de plusieurs niches et ouvertures. L’église a été profanée par daesh en 2016 lors de l’occupation de la ville. Les dégradations y sont relativement mineures.

Localisation

L’église syriaque-orthodoxe Mart Schmouni de Baashiqa[1] se situe à 36°27’4.08″N 43°20’54.07″E et 343 mètres d’altitude, à 21 km au nord-est de Mossoul, 10 km au nord de Bartella, 30 km au nord de Qaraqosh (Baghdeda) et 60 km au nord de la confluence du Tigre (à l’ouest) et du Grand Zab (à l’est).

On est ici au cœur de la Mésopotamie, dans la plaine des  Syriaques, marquée au long des siècles de son empreinte confessionnelle syriaque–orthodoxe et syriaque-catholique. Baashiqa est également un des grands pôles communautaires yézidi à l’est du Tigre. La ville est connue pour sa culture de l’olivier, mais aussi ses palmiers-dattiers et ses orangers.

Baashiqa est relativement proche du grand monastère syriaque-orthodoxe de Mar Matta sur le Mont Maqlūb, lieu de résidence du Maphrien, le Primat de l’Église syriaque-orthodoxe de Mésopotamie, jusqu’en 1859.  L’église syriaque-orthodoxe Mart Schmouni de Baashiqa bénéficia ainsi de l’influence spirituelle due à cette proximité.

[1] Plusieurs orthographes sont employées pour le nom de la ville. Dans son œuvre Assyrie Chrétienne, le savant dominicain Jean-Maurice Fiey écrivit« Bā‘šīqa ». Le géographe orientaliste Vital Cuinet  employa « Bahchika ». Le professeur de l’université de Toronto, Amir Harrak, spécialiste de langue et littérature syriaque et araméenne écrit « Ba‘šīqā ». Le professeur Christian Lochon, grand orientaliste arabophone, écrit « Bachiqa ». Pour cette notice nous retenons « Baashiqa » afin de souligner la prononciation double du « a ».

L'église Mart Schmouni de Baashiqa et sa terrasse au premier plan. L'église Mariam al Adra au second plan
Juin 2017 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA

Fragments d’histoire

La tradition fait remonter la pénétration du christianisme dans la plaine de Ninive et la cité de Baashiqa dès la fin du IVe siècle ou au début du Ve. Plus sûrement, les sources plaident pour une évangélisation au VIIe siècle. Baashiqa est également habitée par une importante communauté yézidie. Les musulmans y disposent également d’une petite mosquée.

Le géographe Vital Cuinet y dénombra 3000 habitants, à la fin du XIXe siècle, 2000 chrétiens et 1000 yézidis[1]. Dans le courant du XXe siècle, on  pouvait y dénombrer « 2566 habitants, dont 1517 sont yézidis, 258 musulmans et 791 chrétiens. Parmi ces derniers, les trois cinquièmes sont jacobites [syriaques-orthodoxes] et le reste syriens-catholiques[2]. »

Au début du XXIe siècle, avant l’offensive de daesh, Baashiqa était une ville de 10 000 habitants. Les Yézidis constituaient les 2/3 de la population[3]. Un important temple yézidi à coupoles subsiste à Baashiqa. C’est le temple de Saih Muhammad ar Radani, où se tient chaque année le premier vendredi d’avril, une grande fête communautaire.

Dans l’histoire chrétienne de la ville, une « école jacobite célèbre y fut fondée vers 630[4] ». Elle aurait compté jusqu’à 300 élèves. Cette école révèle le rayonnement originel de la tradition syriaque-orthodoxe dans la région, des siècles avant que n’y pénètre et ne s’y implante le catholicisme.

L’arrivée des missions catholiques en Mésopotamie et la conversion d’une partie des Syriaques-orthodoxes de Baashiqa au catholicisme eurent pour conséquence un partage des propriétés d’églises, selon une « règle » du 2/3 (orthodoxe),1/3 (catholique). Au cours de ce « partage », l’église de Mart Schmouni demeura syriaque-orthodoxe, tandis que celle de Mart Mariam al Adra[5], sur la même place juste à côté, devint catholique.

La ville de Baashiqa a été attaquée par daesh en décembre 2015. Pendant l’occupation de la ville et jusqu’à sa libération en novembre 2016, les combattants islamistes ont profané, souillé et saccagé les deux grandes églises de la ville, la syriaque-catholique Mart Mariam al Adra et la syriaque orthodoxe Mar Schmouni.

Depuis la libération de la ville les habitants reviennent progressivement et contribuent au renouveau syriaque et yézidi de la plaine de Ninive et de la Mésopotamie.

[1] In La Turquie d’Asie, Tome deuxième, Ernest Leroux éditeur, Paris, 1891.

[2] In Assyrie Chrétienne, JM Fiey, p.461

[3] In Qaraqoche ou la disparition des chrétiens de la plaine de Ninive , Revue de l’Œuvre d’Orient, Christian Lochon, p.137

[4] In Assyrie Chrétienne, JM Fiey, p.462-463

[5] Voir sur ce site web, la notice sur Mart Mariam al Adra de Baashiqah.

Église Mart Schmouni de Baashiqa. Tableau du bon pasteur dégradé par Daesh
Juin 2017 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA

Fragments d’une hagiographie

L’hagiographie de Mart Schmouni et de ses sept Saints-Enfants est bien connue dans tout l’Orient chrétien mésopotamien. Le récit du martyre de cette famille juive, les Maccabées, figure au chapitre 7 du deuxième livre des Maccabées. Ce récit révèle les persécutions dont furent victimes les Juifs sous le règne du roi séleucide Antiochus IV Épiphane, parce qu’ils respectaient les Lois de Dieu et croyaient déjà en la résurrection et la vie éternelle…deux siècles avant l’avènement du christianisme. Les sept frères Maccabées furent ainsi « arrêtés avec leur mère et contraints à manger du porc »[1] afin d’apostasier. Tous refusèrent et périrent martyrs les uns après les autres sous les yeux de leur mère. Le premier fut ainsi « horriblement torturé, puis placé sur un gril (…)»[2]. Malgré sa détresse, leur mère, Mart Schmouni, les encouragea  un à un à  rester fidèles à la Loi de Dieu, jusqu’au cadet qu’elle supplia de ne pas craindre le bourreau « mais, te montrant digne de tes frères, accepte la mort, afin que je te retrouve avec eux dans la miséricorde. »[3]

[1] In La Bible rendue à l’histoire, Jean Potin, éditions Le Club, Juin 2000, p.616

[2] Id. p.616

[3] Id. p.617, Extrait : 2 Maccabées, 7, 29

Église Mart Schmouni de Baashiqa. Entrée
Juin 2017 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA

Description de l’église Mart Schmouni

L’édification originelle de l’église Mart Schmouni n’est pas connue. Sa reconstruction eut lieu en 1890 sous la protection du patriarche syriaque-orthodoxe Patrōs III[1].

Une fois passée le mur d’enceinte, on pénètre dans une cour au nord de laquelle se trouve l’église proprement dite.

Sa structure basilicale à trois nefs est typique de l’architecture syriaque-orthodoxe[2]. Dans sa partie centrale et longitudinale, l’édifice est porté par des colonnes en marbre relativement basses surmontées de larges arcades au dessus desquelles s’élève une voûte en berceau qui conduit au chœur, le qestrūmō, avant de parvenir au sanctuaire, le qankē, après avoir franchi la porte royale pour accéder à l’autel, le madebhō.

Dans le chœur, cette plateforme surélevée d’un degré où prennent place les servants de messe et le clergé pendant les offices, sont disposés deux pupitres en bois, appelés gūdō. C’est ici que sont prononcées les lectures bibliques des offices liturgiques. Seule entorse au plan type originel, l’absence de tribune, le bīm, autrefois placée au milieu de la nef, où les prêtres chantaient les Livres Saints et prononçaient les homélies. En revanche, le pupitre de bois sculpté sur lequel repose l’évangéliaire, le gōgūltō (en d’autres termes le Golgotha) est encore en place à l’orée de la porte royale.

La magnifique porte royale en marbre de l’église Mart Schmouni forme un très grand arc plein cintre percé de plusieurs niches et ouvertures. La porte en tant que telle mesure 3 × 2,4 mètres[3]. Elle est ornée d’inscriptions syriaques sur les piliers et le linteau[4], tandis que la date de la reconstruction est inscrite en arabe. Sous le linteau une belle parure en feuilles d’acanthe rehausse l’éclat de la porte.

De part et d’autre de la nef centrale, les bas-côtés de l’église conduisent à deux portes latérales derrière lesquelles se trouvent, comme le veut la tradition architecturale syriaque-orthodoxe, à gauche le martyrium, le bēt sōhdē, et à droite la sacristie, le bēt diāqōn, ainsi que le baptistère, le bēt ma’muditō.

Deux magnifiques stèles funéraires enrichies d’inscriptions syriaques et arabes sont également visibles au fond de l’église. Elles font mémoire des prêtres Guorguis (1871) et Abd al Ahad (1921) dont les caveaux se trouvent en dessous[5].

Les dégradations commises par Daesh à Mart Schmouni sont relativement mineures[6]. L’autel est en place. Les impacts de balles sur les parties de mur en béton peuvent être facilement réparés. En revanche, les impacts sur les marbres sculptés sont plus complexes à traiter même s’ils étaient relativement peu nombreux. Les tableaux peuvent être remplacés tout comme les vitres cassées.

[1] In Recueil des inscriptions syriaques, Amir Harrak, Académie des inscriptions et belles lettres, 2017, textes p. 370-371 +  photos p.168-169. Voir aussi la note A2 écrite à propos de Patrōs (Pierre) III.

[2] In Les chrétiens de Mossoul et leurs églises pendant la période ottomane de 1516 à 1815. Mémoire présenté par Fr. Jean-Marie Merigoux, O.P., en 1983, à Aix-en-Provence. P.60 et suivantes.

L’auteur y présente dans le détail les plans types des églises syrienne occidentale (Église syriaque-orthodoxe) et syrienne orientale (Église de l’Orient et Église chaldéenne).

[3] In Recueil des inscriptions syriaques, Amir Harrak, Académie des inscriptions et belles lettres, 2017, textes p. 370-371 +  photos p.168-169. Voir aussi la note A2 écrite à propos de Patrōs (Pierre) III.

[4] Id.

[5] Traductions In Recueil des inscriptions syriaques, Amir Harrak, Académie des inscriptions et belles lettres, 2017, textes p.372-373 + photos p.170

[6] Visite effectuée le 17 Juin 2017

Église Mart Schmouni de Baashiqa. Cour et entrée
Juin 2017 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA
Église Mart Schmouni de Baashiqa. Nef, porte royale et sanctuaire
Juin 2017 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA
Église Mart Schmouni de Baashiqa. Porte royale et gōgūltō (le Golgotha) sur lequel repose l'évangéliaire
Juin 2017 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA
Église Mart Schmouni de Baashiqa. Stèle funéraire du père Abd al Ahad (1921)
Juin 2017 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA
Église Mart Schmouni de Baashiqa. Stèle funéraire du père Guorguis (1871)
Juin 2017 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA
Église Mart Schmouni de Baashiqa. L'autel et son arche
Juin 2017 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA

Perspectives pour Baashiqa

Tenter de reconstituer / restaurer les identités et communautés syriaque-orthodoxe, syriaque-catholique et yézidie de Baashiqa est naturel, important, incertain et courageux.

Naturel, parce que cela correspond aux racines profondes de la ville et du pays.

Important, parce que ce serait le témoignage d’une mise en échec de la stratégie de Daesh. Incertain, parce que les conditions d’un retour à une juste paix ne sont pas encore réunies.

Courageux, parce qu’il en faut beaucoup dans ces circonstances.

 

Église Mart Schmouni de Baashiqa. Stèles funéraires endommagées par Daesh
Juin 2017 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA

Contribuez à la sauvegarde de la mémoire des monuments.

Photos de famille, vidéos, témoignages, partagez vos documents pour enrichir le site.

Je participe